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La jacquerie des Arves

arvespar Jean Prieur, Professeur émérite à l’Université de Grenoble

 

Au moyen-âge, l'évêque exerce la souveraineté temporelle avec droits régaliens sur la partie de la Maurienne, appelée "Terre épiscopale". Une bulle du pape Lucius III, sollicitée par l'évêque Lambert en 1184, en précise les limites : son territoire comprend sur la rive droite de l'Arc les paroisses d'Argentine et de Saint-André et sur la rive gauche les 14 paroisses qui s'étendent de Valloire à Jarrier.

 

Les évêques de Maurienne, étant seigneurs temporels, ont à leur service des gens de justice et des collecteurs de taxes ; leur gestion n'est pas toujours bien acceptée et il y a des mécontents. On se fait une fausse idée quand on s'imagine que les hommes de ce temps sont toujours dociles et incapables de revendiquer leurs droits : en 1385, un soulèvement en Tarentaise est motivé par les contributions du Comte Vert et les taxes arbitraires de l'archevêque de Moûtiers, trouvé égorgé dans son château Saint-Jacques.

En 1326, la jacquerie des Arves fut d'une extrême violence, comme le rappelle le préambule du traité y mettant fin : "les hommes et sujets d'Aymon, évêque de Maurienne, poussés par un instinct diabolique, ont formé des ligues, des complots, se livrant à des attentats homicides, à des coups et blessures sur la personne des officiers et familiers de l'évêque. Ces habitants des Arves, allant plus loin dans la révolte, attaquèrent à main armée le seigneur évêque et son frère, firent le siège de la maison forte qu'il possède en Arves dans l'intention de le tuer avec toutes les personnes de sa maison. Ils se sont soustraits au paiement des servis et anciens usages qu'ils devaient à l'évêque, à l'église de Maurienne et au chapitre... Enfin, ils mirent à mort plusieurs officiers et familiers de l'évêque dans l'église et le clocher dudit lieu (à Saint-Jean) qu'ils ont pris d'assaut avec une grande armée... Ils brisèrent les maisons de quelques chanoines". Les révoltés étaient donc descendus à Saint-Jean !

Réfugié à la collégiale Sainte-Catherine de Randens en Basse Maurienne, l'évêque n'eut d'autres ressources que d'appeler à son aide le comte de Savoie, Edouard le Libéral. On ne sait pas de quelle manière l'insurrection fut réprimée, si le comte dut faire une expédition dans les Arves et quels auraient été les résultats. Probablement, la seule démonstration d'une force armée imposante suffit pour faire tout rentrer dans l'ordre.

Quoi qu'il en soit, le bénéficiaire de l'opération fut le comte, accusé à tort ou à raison d'avoir encouragé la rébellion. Celui-ci prend pied dans le fief épiscopal. Le traité de Randens, signé le 2 février 1327, est un contrat entre le comte de Savoie et l'évêque de Maurienne qui se partagent l'autorité sur les territoires rebelles appelés pour cette raison "Terre commune", tandis que les communes restées fidèles à l'évêque ne dépendent que de lui et portent le nom de "Terre limitée".

Voilà, résumée, l'histoire de la célèbre révolte des Arves. Mais il y a aussi la légende, due à l'ignorance ou... à la mauvaise foi. La cause de la révolte serait un prétendu droit des seigneurs féodaux sur la première nuit des nouvelles mariées ; on a même précisé que les Arvains profitèrent de la circonstance suivante : 18 mariages furent célébrés à la fois un jour d'été de 1326. Cette accusation invraisemblable et dénuée de toute preuve a été lancée vers 1850 par un pamphlétaire et rapportée dans quelques publications, dont La Maurienne par les instituteurs en 1904.